pauline sauveur

questionner les liens entre corps et espace(s)

chroniques nocturne(s)

Un nocturne — étymologiquement, une « musique pour la nuit » — est une forme musicale classique, reposant sur un mouvement lent, une expression pathétique, divers ornements mélodiques et une partie centrale accélérée. C’est l’une des expressions typiques du romantisme musical.

Sommes-nous toujours romantiques devant notre écran d’ordinateur, nos tablettes, nos téléphones portables ? »

« Pauline Sauveur et Laurent Herrou (auteurs sur remue d’ Un monde_tir à vue, qui interrogeait la violence assumée, décomplexée, de notre société) ont choisi avec cette nouvelle série de faire la lumière sur nos pratiques et nos réflexes numériques, et d’en questionner le sens et la légitimité post-confinement : à la manière d’une pièce musicale, ils jouent à quatre mains une partition inédite dont les notes et les silences, espèrent-ils, s’égrèneront longtemps dans les esprits, y semant (le mot est trop beau) peut-être les graines de révolutions à la fois personnelles et universelles.

11 chroniques écrites avec Laurent Herrou, écrivain, à retrouver sur remue.net, site de littérature contemporaine, qui nous fait le plaisir de nous accueillir à nouveau.

Facebook, ou la distanciation numérique_nocturne #1
cette fenêtre de lumière bleue ouverte sur tant et tant de personnes et d’histoires, ouverte sur ce qui nous traverse et se partage, sur des fulgurances, sur les petits ou grands séismes du monde réel, du monde connecté et de nos groupes informels. Mais si ce qui avance détruit ce qui se crée, alors il y a quelque chose qui ne me va plus là-dedans.
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Facebook est une illusion, se défaire des réseaux sociaux_nocturne #2
J’avais pour ma part dit déjà dans les journaux-vidéo que j’avais enregistrés tout au long du confinement, que passé la période d’enfermement pendant laquelle le réseau social paraissait l’un des plus simples recours pour, à la fois, avoir des informations et maintenir le contact avec les autres, Facebook ne servirait plus à rien.
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Un monde (virtuel)(Facebook) Dans la ligne de mire_nocturne #3
L’ajout sur Facebook reviendrait donc, pour tenter une comparaison avec la grande distribution, à comptabiliser le nombre d’entrées dans un magasin, sans s’intéresser particulièrement à leurs achats, qu’ils en fassent ou non. Ce serait par conséquent augmenter une statistique, l’enfler sans obligation de résultats, pour prouver (mais à qui ?) que le magasin est viable, rentable.
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Facebook / promettre et compromettre_nocturne #4
L’impression d’être dans une immense demeure sans lumière et d’avancer avec une lampe de poche, n’éclairant que l’infime parcelle de mon parcours en train de se faire. Que ce sentiment d’incertitude découle du secret complet qui règne sur les règles du jeu qui régissent effectivement les algorithmes du réseau m’apparaît comme l’une des explications.
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Facebook, « acceptifs » et désintox_nocturne #5
L’épidémie de coronavirus, et le confinement conséquent, avaient achevé de nous enfermer dans cette catégorie de victime consentante du réseau : nous y avions cherché pour la plupart pendant ces deux mois un souffle de vie ; et certains d’entre nous avaient recommencé à mettre le doigt sur les failles de nos existences, cantonnées là par la force des événements, mais plus généralement en acceptant le diktat, soumises à nos écrans.
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Trois lois pour définir Facebook_nocturne #6
je n’ai fait que réduire, pour une part très variable suivant les jours, mon usage de Facebook. Et réduire ce n’est que faire moins, jamais autrement ni mieux. C’est exactement pareil, par moments tout aussi frustrant, la durée indécente en moins.
Et ça me remplit de colère. Contre moi-même.
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Facebook : pilule bleue ou pilule rouge ?_nocturne #7
Ce que je constate, autour de moi, et à travers les fenêtres du wagon, sur le quai de la gare — et avant cela dans la gare, et dans la chaîne de magasins où je me suis payé un café — c’est combien, derrière nos masques, nous devenons virtuels. Nous n’existons pas.
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Facebook : dormez mieux, détendez-vous_nocturne# 8
C’est peut-être l’évidente similarité du geste le plus anodin qui rend la chose si concrète et déjà indicible, lorsque l’image bascule dans un cri et que le bras et le corps et les amis tombent au sol sous le coup de la déflagration.
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Offacebook : éloge de la trahison_nocturne #9
Les touristes regagnent leur domicile, la rentrée pointe son nez — en même temps qu’elle le dissimule à la vue de tous, en tous lieux, en toutes circonstances. La routine — une routine de film d’anticipation, masque sur le visage — s’installe, elle endort les méfiances. Facebook lui-même endort ses utilisateurs.
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Vivre ou ne pas vivre sans Facebook_nocturne #10
Dans « L’allégorie de la caverne », un des textes les plus célèbres de la philosophie occidentale, Platon décrit des hommes enchaînés depuis leur enfance, pieds et mains liés, faisant face à un mur, au fond d’une caverne. Sur ce mur, sous l’effet d’un feu situé dans leur dos, se projettent les ombres des objets que d’autres portent derrière eux sans être vus des premiers.
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