Avant je disais auteureuh, pour marquer la différence.
Et même, avant ça encore, je disais : auteur-je-m’en-fiche-du-E c’est vrai quoi, qu’est-ce qu’on s’en fout, non ?
Mais ça, c’était avant.
C’était avant Charlie, c’était avant la gravité du monde, c’était la relativité.
Je me suis retrouvée à essuyer mes larmes, choquée, comme nous avons été si nombreux et si profondément choqués, au matin d’un mauvais réveil et ça n’a plus jamais été pareil.
Que dire ? Comment formuler ? Comment respirer, après ça ?
C’est devenu une sorte d’urgence, renforcée par le fait de me retrouver régulièrement face à des enfants, des collégiens, des lycéens. Artiste, autrice invitée en milieu scolaire.
Alors au moins ça, être une adulte qui tient ses convictions, qui énonce ses doutes.
Énoncer. De ma place. Par exemple l’effacement du féminin, dans l’histoire, la langue (si, si, au 17ème siècle, par l’Académie française) et la société. Et au fur et à mesure que j’ouvre mes yeux, je me rends compte à quel point ils étaient fermés, confiants, avant.
Puis, j’ai lu des articles, notamment écrits par Aurore Evain, comédienne, metteuse en scène et autrice. Et un jour, ce que j’avais sous les yeux se révèle, de façon limpide : auteur et autrice se construisent sur une racine commune. Auteure, en plus de rendre le féminin inaudible, est un masculin féminisé. C’est en cela, il me semble qu’il représente une perte de temps, qu’il brouille le message.
En quoi avons nous collectivement besoin de croire et faire croire que les mots ne comptent pas ou si peu ? De laisser imaginer que retrouver la forme féminine des mots serait l’effeminisation, la dévirilisation de vrai langage ? Le bien le bon la brute et l’édulcorée, pauvrette !
D’autant que l’inverse est impensable : jamais nous ne croiserons le moindre infirmièreur, cascadeuseur, aucun cas de figure ne fera qu’une institutrice donnera un institutriceur, ni une doctoresse un doctoresseur. Auteure, m’aura servi d’étape (ou m’aura leurré un moment, je ne saurais jamais : ) Mais cette forme n’est pas plus défendable que boulangèreur.
Et puis, rappeler qu’autrice nous vient du latin, des romains. Et se souvenir que les oreilles et les yeux s’habituent rapidement, aller va, ne vous inquiétez pas.
C’est comme ça que je l’ai adopté, d’abord timidement puis revendiqué, et que maintenant installé, il m’accompagne.
Et pas d’inquitéude, toutes les coquilles n’en sont pas : pour celles et ceux qui l’auraient remarqué, j’utilise parfois le principe de l’accord de proximité, qui est une belle invention, dont nous avons des exemples remontant à 1647, comme nous l’explique Eliane Viennot, professeuse* émérite de littérature française de la Renaissance. Et à l’attention des inquiets, je rajouterais que l’usage n’en est même pas douloureux.