pauline sauveur

questionner les liens entre corps et espace(s)

chaise dans le paysage

Chaise sur le chemin

Vidéo, Marjolaine Grandjean,
son, Bertrand Larrieu.

En partenariat avec remue.net

J’envoie un mail au propriétaire qui vend une vieille chaise bois et cuir sur un site. Ils sont à Étampes, lui et sa chaise. Je pense que c’est tout proche lui dis-je au téléphone après avoir reçu sa réponse. Mais la dame qui m‘a entendue dans la rue me détrompe, c’est très loin Étampes et c’est des petites routes pleines de virages, vous savez, puis Étampes c’est pas pratique comme ville, c’est pas facile de s’y retrouver. Je remercie la dame et persiste dans cette idée, il me faut la chaise ce soir. Finalement ça sera presque facile jusqu’à la gare, où m’attendent le jeune homme et sa chaise. L’affaire réglée, il repart à pied, je repars contente. Elle bouge un peu, mais elle est jolie petite et presque légère.

Ressortir tard tester et la chaise et l’idée de la chaise.
Le corps assis dans le jardin et les phares de la voiture. Calculer le temps entre chaque prise. Habillée de noir sur les photos on ne verra que les mains et le visage. Je comprends d’autant mieux le choix de ce photographe (dont je n’ai pas encore retrouvé le nom) qui réalise des autoportraits de très très loin, le corps perdu dans l’immensité du paysage, nu.

M’asseoir face au jardin noir de nuit.
Avoir un peu froid, continuer, regarder l’objectif droit dans son œil, parce que je sais que même de très loin, même pixelisé le regard importe. Prendre mon visage entre les mains, sourire derrière les mains, et savoir qu’il suffit d’une ou deux pensées pour pleurer réellement, la tristesse si facile. Parfois imprévisible, parfois si évidente, sous les sédiments.
(…)

30 janvier 2016
Il me reste peu de temps avant d’être en retard à Milly.
J’installe la chaise dehors, proche de l’eau de la rivière qui passe autour et décide de mettre plus de secondes entre les images.

24 février 2016
Pas de photo à la chaise aujourd’hui. Trop tard et trop de pluie.

25 février 2016
Se garer loin, puis trimbaler la chaise tout le long de la piste cyclable interdite aux voitures qui s’enfonce dans les bois. Le Cyclop est monumental et endormi en travaux d’hiver. Autoportraits les pieds dans le sable, ne pas être sûre mais faire, m’atteler à ça et avancer : m’asseoir.

26 février 2016
Le soleil entre les branches et les ronces, ma chaise qu’il a portée, que j’installe, vide.

22 avril 2016
La chaise reste là. On est vendredi et elle n’aura pas servi cette fois ce mois-ci, le manque de courage du dos. C’est pourtant bien de ça qu’il s’agit. Du courage dans les actes à mener. Si on veut que ça ait du sens. Me le redire encore.

24 juin 2016
Puis. Je sors ma chaise.
C’est la première fois dans la carrière. Parce que m’asseoir est étrange, l’idée est étrange. Parce que cette action me semble un luxe dans ce lieu de travail. Pourtant je travaille, on travaille tous les trois. C’est pourquoi je prends le pied de l’appareil photo et la chaise.

25 août 2016
Et je cours à la maison Cocteau. Je me trompe de parking et traverse Milly avec ma chaise lourde sous le soleil qui cogne.

15 septembre 2016
Alors la chaise ? À votre avis ?
« On dirait que c’est elle qui regarde le paysage. Moi, ça me fait penser à la solitude. On dirait qu’il manque quelqu’un. Je me demande qui était là juste avant. On pense à s’asseoir. » (Rencontre avec les collégiens).

Chaise dans la carrière de grès

Vidéo, Marjolaine Grandjean,
son, Bertrand Larrieu.

En partenariat avec remue.net

J’aime être à un endroit.
Qu’on me foute la paix !

Qu’on me laisse le temps d’être là, de regarder, d’emmagasiner les sensations de l’espace, les contours, les bruits, m’inscrire dans un lieu, prendre place (racine !).
Le contraire de la précipitation.
La photo, qui est un instant précipité, ultra précipité, instantané, résulte du regard, de l’envie et de ce temps impossible à déterminer qui la précèdent.

L’attente résumée dans l’objet.
La chaise.
Symbolisée par.
L’objet anthropomorphe qui révèle et l’action de l’inaction et l’attente assise et le corps qui est, avec son mystère premier, assis sur une chaise, le corps qui réfléchit parle pleure sourit agit pense lit, dont l’esprit s’échappe, reste libre, impossible à définir avec certitude. J’aime cet irréductible-là, de l’esprit dans le corps sur la chaise. Le corps sur la chaise, la présence reconnaissable même de très loin, comme trois points forment un visage : la silhouette inscrit un personnage dans le lieu, l’image, le paysage.

Trouver la chaise qui sera légère (mon dos) et transportable facilement avec la voiture du Parc. Commencer avec cette chaise qui sera une position dans l’espace, qui sera le cadre, le processus, le protocole, un prérequis, le truc là pour commencer, et nous verrons. Parce que c’est peut-être ça l’élan qui a pris place, cette envie de garder une trace, d’être en mesure de renouer avec, de convoquer, d’interpréter, de garder la marque du lieu, l’infime.
(…)