pauline sauveur

questionner les liens entre corps et espace(s)

le petit déjeuner – the breakfast table

Cette série est née en deux temps. La première approche fut d’entrer dans les lieux, et d’y lire ce que les espaces vides peuvent raconter : la lumière, les traces, la fiction indéniable, l’absence-présence, le retour prochain ou le départ certain.

Par la suite j’ai fait part à celui qui y vivait depuis quelques années, de l’envie de faire des photos du lieu, habité, il a ri et m’a demandé si j’avais oublié qu’il avait été modèle, et nous avons convenu d’une date.

La nudité a été une proposition et la lenteur, le silence et la respiration sont entrés dans l’image en même temps.

J’ai longtemps et longuement photographié l’architecture, les bâtiments, les lieux, avec une tendresse particulière pour les espaces de travail et les endroits anodins, vides ou déglingués, en ruines ou endormis.

Le corps dans l’image, le corps-motif, objet ou fragment, est un habitant peut-être fragile, peut-être immobile. Le corps (de l’autre ou le mien dans les autoportraits) est une sorte de question ouverte qui reste, matérialisée dans l’image. Il matérialise également l’interrogation, qui reste entière, sur ma manière de le prendre en photo. Il renvoie à notre relation à l’espace, à nos attachements aux lieux.

Inviter quelqu’un dans le cadre est une façon de continuer l’étonnement et les incertitudes, tout en essayant d’apporter une première esquisse de réponse.

« Dans la maison de ma grand-mère, il y avait une pièce dédiée au petit-déjeuner. C’était en réalité l’office de la cuisine, du moins : l’office de la cuisine secondaire une fois qu’il n’y avait plus eu, en bas, de domestiques dans la cuisine principale, comme dans un film de Robert Altman ou une série anglaise. On s’y retrouvait le matin, les invités y descendaient en tenue de nuit, certains se douchaient avant le petit-déjeuner mais en règle générale, c’était une pièce de robes de chambre, d’odeur de café et de cheveux emmêlés. Certains parlaient trop déjà, certains se taisaient, tout à leurs rêves, encore emprunts de sommeil.
C’était — et c’est resté — une pièce où l’on se livre.
Une pièce où les apparences n’ont pas encore cours, une pièce où l’on se montre tel que l’on est : dévêtu d’une certaine manière.
Une pièce d’offrandes, pas seulement culinaires non : on s’y révélait.

Exposer dans la salle du petit-déjeuner, à la fois le travail de la photographe et la nudité du modèle, c’est parallèlement dire et se taire : parce que la photographie est un art du silence et parce que le corps nu, même de dos, crie quelque chose.
Il vous appelle.
Il vous invite.
Il pleure, parfois.
L’entendez-vous ? »

à ma grand-mère, Andrée Hassen (1915-2016)
Laurent Herrou

Série exposée :

  • TK21, revue numérique n°79 – 2018
  • En ligne chez Corridor Eléphant, éditeur de photographie contemporaine – 2017
  • Château de Villequiers (18) – 2015
  • Exposition lecture, durant le Festival du Mot, la Charité sur Loire (58) – 2015