pauline sauveur

questionner les liens entre corps et espace(s)

trouver trois œuvres

Trouver trois œuvres qui m’ont marquée, que j’aime particulièrement ?
c’est la demande faite par Catherine, administratrice du groupe CAC VIRT (centre d’art contemporain virtuel).

Et c’est une belle occasion pour se reposer la question, parce que…

C’est tellement plus que trois et très souvent autre chose qu’une œuvre artistique, ou visuelle ! C’est telle et telle phrase dans une chanson qui ont fait apparaitre le droit d’écrire « des trucs pareils », c’est telle photographie dans mon livre d’histoire de troisième, que je finirais par découper soigneusement, poussant la loyauté à coller un papier à la place et à reconstituer le texte derrière pour que l’élève d’après ne soit pas trop pénalisé (Pourquoi je n’ai pas envisagé une seconde de faire une photocopie ?) C’est cette photographie d’un jeune punk iroquois japonais, pleine page déchirée d’un magazine et que j’ai(me) toujours. C’est la cicatrice sur le visage d’Albator et le bruit sur le pont du vaisseau au moment le plus calme quand dort l’équipage. C’est des mots et des mots dans des livres. C’est le champ et le chemin dessinés au pinceau sur le dessus d’un minuscule coffret en bois. Parce que littéralement je sens le vent léger qui le traverse et fait onduler les blés ? Parce qu’il y a des coquelicots ? J’apprendrais des dizaines d’années après que ma mère l’a donné. C’est telle et telle photographie de maisons (tout un livre et même un second) que j’ai encore, tellement, douloureusement, envie d’arpenter en vrai, ou même rien, juste m’y asseoir et y être un moment. Comment ça c’est impossible ?

C’est Elina Brotherus de dos dans une grande robe bleue délavée face au paysage au bord peut-être d’une falaise (et tout son travail).

Elina Brotherus The new painting

Et les deux jambes-branches immenses accrochées au mur et chaussures de Ulla Jokisalo (et toutes ses photos).

Ulla Jokisalo

Ou la robe rouge immense immense (238 places + une) de Aamu Song (et tous ses objets-projets poétiques).

Aamu Song and Compagny reddress making, 2005

Et la maison Row , connue aussi sous le nom de maison Azuma, de Tadao Ando, cette façade et cette cour, jubilatoires et abruptes (et tant d’autres de ses constructions).

Tadao Ando, Azuma house, or Row house, 1975

C’est quelque chose qui reste un mystère, dans le regard de la personne, du personnage, dans la lumière, dans le geste ou le paysage, dans l’agencement d’un espace, qui fait que je m’y projette, que je me demande, que je ne comprends toujours pas complètement mais qui me touche.

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Mais je veux bien jouer (presque) le jeu et partager avec vous (environ) trois œuvres que j’aime :

Tomasz Szrama – Sacred heart, 2012

Tomaz Szrama, sacred heart, 2012

Le corps de la performeuse, du performeur, des artistes qui font des performances. C’est un sujet que j’ai identifié (avant ça c’était flou) lors de ma première résidence, à Helsinki, en Finlande en 2012. Tomasz Szrama faisait partie de l’association qui s’occupait des artistes. Au cours d’une discussion, il m’apprend qu’il est performeur et me parle de la photographie qu’il a réalisée la veille, une fois ses jeunes enfants couchés, puisqu’il n’est pas si simple de tout mener de front. Il me montrera cette photographie, qui deviendra une image-étape pour moi. Il ne s’agit d’aucune révélation, simplement d’un état de fait, l’avant, l’après. J’ai par la suite vu des reportages photographiques de ses autres performances (jamais en vrai, pour l’heure) puis j’ai vu d’autres artistes.

La performance est une forme d’art qui me bouleverse. C’est le corps d’une personne, libre, qui fait quelque chose sous nos yeux, dont on ne peut pas deviner la totalité. C’est une expression, une écriture, un jeu, un je, que l’on ne va pas interrompre. Au mieux on s’en éloigne. Il y a cette force absolue d’un corps qui est là, qui s’adresse à nous en tant qu’individu. Sans le filtre de la scène, de la chorégraphie, même si les gestes sont chorégraphiés, ce n’est ni de la danse, ni du théâtre, ni du mime. Souvent sans paroles, aussi. Et les limites disparaissent, elles s’évanouissent, je deviens spectatrice d’un corps en action. J’aime la puissance nue, primaire de cette interaction.

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Helene Schjerfbeck – self-portrait, 1912

Helene Schjerfbeck, Self-portrait, a Study, 1915

Les autoportraits d’Hélène Schjerfbeck sont autant de parcelles de présence, intraitables. Elle a chaque fois ce regard étonnant, changeant comme un reflet, qui me regarde droit dans les yeux, ou qui regarde le monde pour moi, qui renvoie une question et une autre et une autre. Toutes ses peintures (et chaque photo d’elle aussi) me touchent.

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Aleksi Gallen Kallela – Lemminkäinen’s mother, 1897

Gallen Kallela – la mère de Lemminkäinen 1897

Ce tableau représente un épisode du Kalevala (épopée mythique finlandaise). Il m’avait beaucoup impressionnée quand ma grand-mère me l’avait expliqué. De mémoire, la femme qui est la mère de l’homme au sol, a dragué le lac à la recherche de tous ses ossements éparpillés, pour patiemment le ramener sur la berge et finalement implorer qu’il repenne corps et revienne à la vie. Ce que lui accordera (je ne sais plus) un dieu, une déesse ou un esprit. Et puis, enfant, j’aimais bien le tragique, le panache, l’exaltation de ces tableaux. Et toujours le regard, la lumière parfois ténue, le tourbillon de la composition et l’œil qui explore, qui explore.

Aleksi Gallen Kallela La malédiction de Kullervo, 1899

Mais j’aime tout autant la force si différente, si peu spectaculaire, qui me paraît si proche, d’une autre de ses peintures : Garçon et corneille, 1884.

Aleksi Gallen-Kallela, garçon et corneille, 1884

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Je me rends compte que les trois œuvres sont situées en Finlande, où j’allais voir ma famille. C’est probablement parce que ma grand-mère m’en a fait découvrir tellement. Et parce qu’elle a su me placer devant quand j’étais enfant, en laissant faire les choses, en laissant venir le dialogue silencieux qu’on entame parfois avec une œuvre qui nous réveille.