pauline sauveur

questionner les liens entre corps et espace(s)

Construire une table – RĂ©sidence Essonne #6

J’essaye de construire une table
Ă  vous, ensuite, d’y manger, de l’interroger ou de faire du feu avec. 
Jean Cocteau Ă  propos du tournage de La Belle et la BĂªte.

Journal La Belle et la BĂªte Jean Cocteau
éditions du Rocher

Lire Cocteau.
Lire le journal qu’il a tenu durant toute la durĂ©e du tournage, du 26 aoĂ»t 1945 au 1er juin 1946. Plonger, le suivre, chaque jour ou presque, croiser les acteurs, les techniciens, traverser les dĂ©cors, le chĂ¢teau et les paysages, les studios, la salle de montage.
Pour prĂ©parer une lecture dans sa maison, celle de Milly-la-ForĂªt, au mois d’aoĂ»t. Y lire et y revenir lire. PrĂ©voir de prendre ma propre chaise, celle que je trimbale un peu partout au cours de cette rĂ©sidence.
DĂ©couvrir comme j’ai Ă©tĂ© embarquĂ©e.
Comme la proximité ne se décrète pas mais advient. Cette sensation.
Demain, regarder le film qui est né au fil des pages.

Jean Marais, la BĂªte, Josette Day, la Belle et Jean Cocteau

7 octobre 1945
Je m’acharne. Je continue. Et j’aime cet acharnement. Je ne peux pas dire qu’il me coĂ»te. Mon travail est un travail d’archĂ©ologue. Le film existe (prĂ©existe). Il me faut le dĂ©couvrir dans l’ombre oĂ¹ il dort, Ă  coup de pelle et Ă  coup de pioche. Il m’arrive de l’abĂ®mer Ă  force de hĂ¢te. Mais les fragments intacts brillent d’un beau marbre. Lorsqu’on pense au nombre de circonstances fortuites qui doivent se produire ensemble, Ă  la mĂªme seconde, pour rĂ©ussir une prise, on s’étonne de crier « Stop Â». Ensuite ce prodige du hasard passe Ă  d’autres dangers. L’indiffĂ©rence des machines. Qu’une panne d’électricitĂ© survienne pendant que la pellicule nĂ©gative se trouve dans le bain, le travail est perdu. On tremble sans cesse. (…)
J’ai une barbe blanche. Je ne m’en doutais pas. Eh bien, voilĂ  ! J’ai une barbe blanche. Ce n’est pas grave. Le grave serait d’avoir une Ă¢me qui lui corresponde. Dieu merci, j’ai le sang rouge. Je le dĂ©penserai jusqu’à la dernière goutte. Je n’économiserai rien.
Jean Cocteau

Et lire des extraits
de mon propre journal (de résidence) publié en ligne sur remue.net

27 janvier 2016

J’envoie un mail au propriĂ©taire qui vend une vieille chaise bois et cuir sur un site. Ils sont Ă  Étampes, lui et sa chaise. L’affaire rĂ©glĂ©e, il repart Ă  pied, je repars contente. Elle bouge un peu, mais elle est jolie petite et presque lĂ©gère. Tester et la chaise et l’idĂ©e de la chaise. Le corps assis dans le jardin et les phares de la voiture. Calculer le temps entre chaque prise. M’asseoir face au jardin noir de nuit. Avoir un peu froid, continuer, regarder l’objectif droit dans son Å“il, parce que je sais que mĂªme de très loin, mĂªme pixĂ©lisĂ© le regard importe.
Prendre mon visage entre les mains, sourire derrière les mains, et savoir qu’il suffit d’une ou deux pensĂ©es pour pleurer rĂ©ellement, la tristesse si facile. Parfois imprĂ©visible, parfois si Ă©vidente,
sous les sédiments.
P.S.