pauline sauveur

questionner les liens entre corps et espace(s)

Carrières de grès – résidence Essonne #5

Suite du journal résidence

menée avec Le Parc naturel du Gâtinais
et la bibliothèque départementale de l’Essonne.

21 avril 2016
Discuter. Avec Monsieur Boussard, de cette façon naturelle avec un peu plus de lenteur, due au silence et au temps qu’il lui faut pour écrire ce qu’il me dit pour que je lise à voix haute. Le dialogue avec ma seule voix, mais nos deux rires. Les témoignages de poilus qu’il a retranscrits recopiés qu’il me fait lire, le procès verbal du décès accidentel à la carrière de son oncle, ou la plainte déposée contre les carriers par monsieur Le Roi. Copies en double dont un jeu pour moi de ces documents qu’il a trouvés aux archives départementales du Château de Chamarande.

Prendre sa voiture pour aller voir sa carrière, ses carrières. Chemin sombre à travers les arbres. Une terrasse claire se dégage en contre bas le sable à nu se voit de loin. À nu parce que les moto-cross tracent remuent creusent et que la mousse ne peut résister, sable à vif les sillons des pneus. Je descends face au front de taille. La roche, ses angles nets avec souplesse par endroits, parce qu’elle casse comme elle veut, suivant les failles qui ondulent, le mouvement dans la pierre qui apparaît qui fait le bord.

 

Le contraste à nouveau confirmé de la roche et de la douceur autour, le bruit assourdi par le sable la mousse et le lichen qui envahissent là où les motos ne vont pas, souple sous les pieds le sol meuble.

Plus loin une autre carrière, celle de calcaire où se taillaient les pierres des maisons. On sent la matière moins dure, plus légère, où même à la végétation s’installe où l’eau ruisselle et creuse plus vite plus facilement, là encore immense la falaise basse se déploie.

 

Plus loin le banc de grès réapparaît. Marcher dessus puis le sol se dérobe et descend d’un cran. La terrasse se dégage aux pieds. Le sablon sous la langue immense du bloc de roche continue. Ça fait des bouches effilées des sourires d’ombre qui affleurent le sol. Ici le front de taille fait 100 mètres de long. À combien reprend la pente naturelle ? À 50 m peut-être ?

C’est ce vide le travail dur le labeur le son les coups portés la détermination devant la pierre. C’est ce vide l’ampleur de la tâche la somme du travail qui a débité ce qui était là avant, dur pour Paris et ailleurs les places les rues des pavés des bordures. Le travail de tailler la montagne de ses mains y laisser la peau des doigts des bras sur la roche du grès vif.

(…)
L’après-midi, je propose à Pierre Giraud comédien qui vient : descends à Buno, il fait beau on travaillera et on ira au café une fois prêts. On s’installe un peu plus loin vers le bois parce qu’il y en a d’autres qui écrivent théâtre jeunesse poésie.
S’asseoir au bord de l’eau dans l’herbe, les fourmis sous le pull ou la veste. «Presqu’îl-e» version lecture ou version théâtrale. La sélection de Pierre : je lui
avais dit comme tu as envie, choisis ce que tu souhaiterais lire je rajouterai
ce que je lirai. Traverser le texte avec quelqu’un d’autre. On raye avec facilité un mot, un paragraphe, souvent avec le même élan, ça non, c’est pas la peine, ça non plus. Enlever, enlever et rire. Pas trop enlever quand même me
dit Pierre.

Texte matière.

Séverine Delbosq, danseuse de la compagnie l’Essoreuse, nous a rejoints arrivée en RER. Rendez-vous au musée la collection d’objets et l’étrange ballet des personnes qui nous reçoivent élus collègues responsables. Ils se parlent et nous montrent par où passent leurs paroles, par quel chemin leur façon de communiquer, un peu d’humour un peu de mauvaise humeur feinte un peu
de ronchonnade de railleries légères. Le jeu là sous nos yeux l’architecture
invisible des conventions amicales professionnelles et qui sait politiques. La
sensation de la démonstration. Du coup, la discussion méandre du verbe méandrer qui mouve, meuble, molle, mouvante et qui louvoie se glisse sinue en
arabesques. On suit, spectateurs, on attend que les réponses arrivent, dans le
fil louvoyant. Les discussions ont eu raison du temps et on part à la carrière.
Elle est non spectaculaire, faille douce envahie, le front de taille se perd
qui lui aussi méandre. « C’est de la roche pourrie ici, 70 % de déchets
pour tirer les pavés. »
Plus haut un chêne n’en finit plus de s’effriter enchevêtré de ses branches.
À la carrière de Moigny, monsieur de Oliveira est d’accord pour les journées du patrimoine en septembre pour la restitution, donc ça sera de 10 à 12h et de 14 à 17 ou 18 heures. Deux journées complètes.
On est venu voir le sable et voir le bruit et ses couleurs et prendre un pavé. Du grès d’extraction clair presque blanc ou du grès naturel qui est gris de lichen, la calcite ?
Le sable ancestral se love en poche ronde et douce, probable bulles d’air emprisonnées qui n’ont pas permis de la compression, processus de formation du grès.
Le grès garde la trace du fer, de la rouille. Les pavés ocres à Paris le sont à cause de l’activité qu’il y a eu au-dessus d’eux, sur les bords de Seine notamment, ils le sont particulièrement, parce que caisses et chevaux et charrettes, le métal des
roues cerclées s’y est frotté, fer arraché, la rouille s’est incrustée. Elle
tatoue la pierre de sa couleur.
(…)

 

L’intégralité de l’article sur le site remue.net
et les entrées précédentes.

Bonne lecture !