pauline sauveur

questionner les liens entre corps et espace(s)

Petits yeux

« C’est curieux et étonnant et pourtant aussi, un peu étouffant, le temps de confinement, même si tellement mieux lotie que celles et ceux qui se tuent à la tâche, qui usent leur corps au travail des autres.

Le télétravail pas complet est une chose, le temps reste suspendu, mais non libre. Les échanges numériques ne sont pas virtuels, ils passent d’un appareil à l’autre et nous lient à travers un état cotonneux qui m’empêche de réfléchir mais pas de pleurer. J’ai commencé cette série des petits yeux, le dimanche 22 mars, pour mettre de la légèreté, de l’action, très modeste, pour me mettre en mouvement, même s’il était déjà tard et que la lumière du jour commençait à baisser.

Il y a le fil des publications et des actualités où qu’on soit. Il y a les mots, des mots, des choses et des sourires même, et une douleur qui est là, pour les nôtres et les autres qu’on ne connait pas, pour les autres ailleurs et ce n’est même pas une liste possible.

Le temps confiné est un retour d’enfance, du temps long qui s’étire sans avoir de fin visible. Le jeu, les jeux, les petits yeux des jouets ? L’ennui et la rêverie, le silence, l’imaginaire, les histoires que racontent les objets. Le temps qui s’étire. Du temps immobile plein de toutes les impossibilités : partir, bouger, conduire, aller loin, décider. Comme l’enfant qui n’a ni le permis ni la permission.

Les maux de tête sont légers mais constant, j’ai l’impression d’avoir les épaules en bois et le cerveau comme un vieil aquarium un peu sale, avec des bouts d’algues qui trainent, qui flottent d’un bord à l’autre.
« On est quel mois de la semaine déjà ? » partage une amie écrivaine et tricoteuse, Alexandra Bitouzet, qui écrit et publie, comme et avec Laurent Herrou, écrivain, leur respectif journal de confinement, en ligne sur facebook.

Sur le réseau social au début du confinement, les photographies des uns et des autres, enfants, jeunes, loin. C’est touchant de reconnaitre les yeux, une expression sur un visage de 3, 4 ou 5 ans, sur un visage adolescent. C’est de l’avenir à l’envers, mais les promesses sont ténues, les jours meilleurs sont fragiles.


Il y a la noirceur de ce qui continue, de ce qui avance, et pas seulement la charge virale.
On aura l’air bien con, bientôt, avec notre inaction globale, malgré toutes nos actions individuelles : comme l’a écrit Alexandra, on n’a pas attendu le virus pour changer nos habitudes, porter notre attention sur nos gaspillages, nos efforts possibles, nos réductions d’emballage, nos producteurs locaux et notre éthique de consommateur, mais.

C’est pourtant ce qu’on doit à nos visages d’enfant passés, et à ceux du présent : agir, entreprendre, y arriver mieux. »


P.S. – 25 avril 2020

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