pauline sauveur

questionner les liens entre corps et espace(s)

Chez elle – nouvelle (extrait)

Pour avoir retravaillé sur le projet Presqu’îl-e, qui tient son titre de cette nouvelle antérieure, rebaptisée « Chez elle »…
Voici un extrait et quelques images. 
– – – – –
Chez elle 
 
Presqu’île
Presqu’elle
Presqu’une île
Et de l’eau
De l’eau partout
De l’eau en ville
J’habite chez elle.
Je dors dans le bureau.
Il y a de gros travaux dehors.
Le bâtiment est emmailloté jusqu’au toit.
Chaque fenêtre est bouchée par du plastique épais.
Un échafaudage et une seconde peau de plastique nous cachent de la rue.
Sa chambre est nébuleuse et floue.
Dans le bureau je dors. Au pied du fusil mitrailleur je dors.
Des boîtes de cartouches et la mallette en alu. Bien rangés. Je dors bien.
Je pars à l’école chaque matin. C’est tout droit, au bout de la rue d’Anna, tout droit tout au bout, je pourrais y aller d’un coup de tête, si je voulais, plonger par la fenêtre et filer droit d’un jet de pensée.
Puis stopper net juste avant le parc moche de l’église, je tourne à gauche et j’entre dans le quartier de la montagne rouge. A l’école, pour travailler avec une classe sur le thème de la maison.
Ici j’ai opté pour la radio – station russe – pour le son, les voix, la musique. Posés sur la table dans la cuisine.
(…)
J’étale des choses, je laisse toutes mes chaussures dans l’entrée, j’installe le bruit de la bouilloire dans la cuisine et l’odeur du fromage dans le frigo, le couteau dans le tiroir-planche à pain. Habiter là un temps, prendre place, déballer ma valise, disperser mes objets mes papiers sur la table du salon les plans de la ville les livres les tickets de retraits mon cahier la doc les cartes postales graphiques des concerts où je n’irai jamais.
Je ressors les vieux bols chinois en grès lourd et sa tasse préférée que je n’aimais pas tant que ça, les couverts élégants en argent noircis. Je décide que oui cet appartement est occupé, voyez vous même, j’y suis. Il y a ses affaires qu’elle me prête et les miennes qui trainent, la petite théière à nouveau en usage, la vaisselle à faire, le compost à emmailloter – papier journal ou sachet biodégradable pour la biopoubelle.
(…)
Je sors le soir. Dans la pluie et la lumière de la ville. Les reflets des vitrines des coiffeurs. Je sors la nuit pas tard et je déambule je savoure les heures la plupart du temps je savoure.
La solitude peuplée.
Puisqu’il n’y a plus personne dans ma maison je veux qu’il y en ait au moins quand je sors, en bas de chez moi. Elle m’a dit ça le jour où elle a signé pour l’appartement. Je ne comprenais pas. Qu’elle puisse me priver de sa grande maison me semblait impossible.
Comment imaginait-elle ?
Toujours est-il.
Maintenant j’occupe cet appartement.
(…)
J’habite chez elle pour quelque temps.
Je sors le matin je déambule. Les jours sans école je ne dis rien parfois de la journée. J’aspire, j’absorbe, je regarde autour, j’hume la ville exotique lointaine nouvelle incroyable et aérienne. Massive. Et italienne, par ses couleurs.
Larges avenues calmes, lumières démultipliées, trottoirs larges de capitale et la mer au bout, les arbres, la plage à l’ouest, le port partout autour de la ville.
Helsinki est une grande presqu’île, la mer s’infiltre arrose entoure berce et lèche les pieds de granit des bâtiments qui plongent. A la lisière : le socle ancestral la roche mère qui affleure et la mousse silencieuse.
Je savoure, je regarde puis je rentre boire un thé au son de ma station russe préférée. Les reflets doubles aux doubles fenêtres, le ciel étrange de la nuit urbaine, le silence douillet du parquet, le nez sur le bord du matelas, couchée par terre dans le bureau, j’observe le monde souterrain des poussières sous l’armoire.
Le fusil mitrailleur, ses cartouches et son blouson de moto. Des sacs des cartons des affaires, laissés par ma jeune cousine militaire en transit parfois ici elle aussi. Entassés parmi d’autres boites d’autres sacs : les affaires de ma grand-mère. Son élégance, ses tenues, les tissus de soie sauvage satinée, ses draps, ses nappes brodées, mélangés aux chaussettes et aux bandages, aux chiffons délavés, un t-shirt rouge sérigraphié, Petite Muu fronce les sourcils.
Ses habits au rebut résument l’affaire, à l’hôpital on ne s’habille plus.
(…)
auteure pauline sauveur photos Finlande Helsinki nouvelle texte Chez elle

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