pauline sauveur

questionner les liens entre corps et espace(s)

Les arbres sont des marcheurs lents

Les arbres sont des marcheurs lents dans l’hiver aux feuilles caduques. Leurs branches secouent le vent froid et la nuit blanche de brume.

Ils savent les chemins hésitants et le bord des routes qui s’allume un instant sous les phares d’une voiture sur la nationale déserte. Ils connaissent les pas isolés de ceux qui sur le bas-côté, doucement avancent et insistent, qui explorent le trajet en train de se faire, celui qui toujours reste à faire, un jour après l’autre, un pied ou l’autre, devant.

Les arbres sont des marcheurs lourds qui dorment comme les chevaux, debout.

Puis ils avancent et relient leurs aires et leurs territoires de broussailles, à l’ombre ou sous la pluie, par delà les champs invisibles de neige, ils poursuivent les méandres et brodent les contours flous du paysage.

Une silhouette s’éloigne, dos droit sous la tempête qui redouble et martèle. Elle ignore la pluie qui s’engouffre et balaye, elle ignore la neige. Puisque chaque fois l’orage s’éloigne et finit, puisque le vent s’essouffle et caresse et termine enroulé aux brins de laine à ton cou. Ce qu’il en reste de froid t’accompagnera demain au soleil de février

Hêtre vivant – de François Dejardin

Sur la vitre de la portière, les gouttes s’écoulent aux jointures des doigts de ma main posée là, un appui avant le noir, un abri, un visage, peut-être une envie. Et l’eau froide glisse dans ma manche. Faire une pause sur le parcours, une étape, un répit, de quoi en fumer une et arrêter de penser, à nouveau s’astreindre au vide, reprendre l’élan et ne plus y penser, aller de l’avant.

Je vois le ravin au loin qui longe un bois au sommeil léger, à la sortie de la ville, il succède aux jardins clôturés des lotissements vides à la tombée du soir, les volets fermés pour la plupart. Il y avait là-bas, seule grande ouverte, la bouche noire de la porte absente de la maison en chantier sur une parcelle, au fond. Elle aura la vue belle sur le marronnier et le bout du chemin qui se perd dans un virage.

Les arbres sont des marcheurs aux ailes déployées qui annoncent l’air frais et notre essentiel besoin de respirer. Dont la trace persiste au-delà des yeux.

Les arbres sont des marcheurs endurants qui nous regardent suivre une idée peu claire. Leur bruissement ténu nous l’assure. Ils observent nos efforts fragiles et nos traces inaudibles qui s’additionnent. Ils savent combien les sentiers se travaillent, se prolongent et se croisent, ils savent comme se construisent les jours à venir. Et avec la douceur du couchant chaque fois, ils reconnaissent quand vers le Nord c’est l’été.

Pauline Sauveur
le 5 mai 2019

Merci à François Dejardin pour cette belle invitation à écrire un texte à partir de ses photographies et dessins réunis pour cette exposition à la Traces Galerie, à Liège (Belgique).

Le site de François Dejardin : http://polykrom.be/