pauline sauveur

questionner les liens entre corps et espace(s)

Corps en échos – le corps contemporain

Une artiste coréenne dont on ne voit que la main, pose des oranges sur la table, l’une après l’autre et laisse le dernier emplacement vide. Elle a filmé chacun de ses gestes. Nous laissant avec l’infime déséquilibre de cet emplacement libre qui ne sera pas comblé.

Dans un autre plan, on ne voit rien, tout est blanc, on s’interroge, c’est étrange.
Il y a comme des remous sur une feuille de papier. Et lentement apparaît un curieux animal, qui doucement avance, déchirant l’écran comme il peut, langue humaine qui fend le silence de la page, alors que le visage reste caché par le papier.

Un autre plan encore, elle pense dormir.
Mais le fauteuil est trop petit. Elle tente en vain de dormir sur son fauteuil. Ses tentatives sont à la fois drôles et désarmantes. Elle nous montre l’impossibilité du sommeil. Tête en arrière sur le dossier trop bas, bras et jambes qui glissent sur l’absence d’accoudoir, pieds qui ne tiennent pas sur l’assise trop petite et trop souple. Tout est inconfortable.

Ailleurs, elle installe une chaise devant un téléphone public mural. On n’entendra que des bribes de sa conversation, incompréhensibles, mêlées aux bruits de la circulation, des piétons qui traversent le champ de la caméra sans hésitation.

Je ne connais pas son nom, mais chacune de ses performances est un morceau jubilatoire de sérieux, de poésie et d’entêtement.
Peut-être que l’étrangeté et la puissance des performances viennent de ce qu’elles travaillent la question de l’inconfort du monde. Avec le corps, inévitable. Le corps, là, sur les bras, que l’on a sur les bras, qui nous oblige.
(…)

Extrait du texte que j’ai écrit pour l’exposition, en introduction à la question du corps plongé dans le lieu, dans l’espace de l’Hôtel Lallemant et de ses caractéristiques, sa matière, ses ambiances, ses histoires à réinterpréter.

Travail d’étudiant en dialogue avec une image de ma série « Le petit déjeuner »

Exposition installée jusqu’au 31 mai 2019

Et ce dialogue à travers les âges et les images, la question du visage, du regard, du corps qui raconte :

Les performances répètent, déclinent le corps absolument, résolument là. La présence. Elles impliquent le regard, et dans un même mouvement nous impliquent dans un rapport immédiat, confortable ou pas, face à celui ou celle qui s’expose et s’engage devant nous. Présence.

C’est de la viande vivante qui pense et qui se met sous votre nez, impossible à nier. Un corps qui agit et qui parfois même vous regarde.
On peut aimer, détester, être mal à l’aise, attiré, perplexe, dégouté, on peut même décider de partir parce que là c’est trop, ou rester parce que là c’est trop. Mais c’est soi et l’autre.

Le performeur a cette force-là, d’être présent au-delà de lui seul, inscrit dans une réalité, terriblement concrète, qui nous rend à nous-mêmes.

À quoi pense-t-il ? À quoi pense-t-elle ? À quoi penses-tu, Alexandra Guillot, à chaque feuille que tu prends avec attention et sérieux, dont tu nourris la machine à déchiqueter qui ronronne, qui découpe en filaments ? L’étrangeté de ce geste voulu, répété, répété, répété, et son unicité à chaque fois.

Et cette autre question, posée par une petite fille qui regarde et qui demande à Laurent Herrou qui reçoit Alexandra : elle est vivante ?. Il répond oui. Elle demande à nouveau : mais qu’est-ce qu’elle fait ? Il rajoute alors : son travail.

Les performeurs sont en cela magnifiques qu’ils sont, plus clairement que tous les autres. Ils redeviennent eux-mêmes bien sûr, à la fin, après, ils vous parlent à nouveau, ils boivent et mangent, ils aiment et reprennent leur vie.

Mais un temps encore, on peut les regarder du coin de l’œil.
Peut-on vraiment leur faire confiance ?
Sont-ils vraiment revenus ?
Redevenus comme nous ?

Suite et fin du texte.