pauline sauveur

questionner les liens entre corps et espace(s)

les artistes ont-iels un corps ? parution

le livre est là, dans mes mains, et déjà en rupture de stock chez les éditions Monstrograph (fondée par Coline Pierré et Martin Page).

Il sera là à nouveau, dès le début de l’année sous forme numérique et gratuite, et qui sait, la collection sera peut-être reprise ?

Extraits :

« Comment décrirais-tu ton corps ?
Comme une partie de moi-même sur laquelle je peux compter, et heureusement. Et parfois comme un animal récalcitrant dont j’aurais la charge. Mon corps me rapproche de l’animal, c’est ce qu’on a en commun, cette viande vivante. C’est en lien avec l’émotion que je ressens de plus en plus lorsque j’ai un animal dans les bras. Sa chaleur qui passe de ses pattes à la paume de mes mains, animal complice apprivoisé, ou animal sauvage immobile et inquiet, tortue, oiseau, rongeur. Son poids fragile. J’en suis émue chaque fois. Le pauvre humain qui se croit supérieur, unique détenteur d’intelligence, d’une sorte de conscience, d’une sorte d’individualité, fait l’aveu de l’ampleur de sa connerie.

Ton corps est-il un ami ou un ennemi ?
Un ami, que je remercie d’être là, quand j’y pense. De nous deux, si ennemi il y a, ce serait moi, l’auto-ennemie à l’intérieur du corps, ce qui ne simplifie pas les choses.

Qu’y a-t-il dans ton corps ?
À peu près tout ce qu’il faut pour fonctionner et des ressources cachées qui apparaissent parfois.
(…)

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Quel est le rôle de ton corps dans ton art ?
C’est mon outil premier. La tête et les idées qui s’y développent, le corps, les sensations, les émotions, sa réactivité aux ambiances, l’alchimie d’autour. La question du corps dans l’espace et de leurs relations est au centre de ce qui m’intéresse, tout en étant aussi à la marge, au loin, ce qui influence ou qui fait le lien. C’est un fil qui traverse tout ce que je fais en écriture, en photographie, et en installation.

Le corps est un lien avec l’enfance aussi, puisqu’il était puissamment et initialement là.
J’aime beaucoup regarder un jeune enfant, d’un an ou deux, qui met tout à la bouche, sa grande concentration et souvent ce temps de réflexion qui y succède : ça c’est bon, ça c’est chouette sous les gencives qui démangent, ça c’est du bois. Le côté méthodique de la main qui attrape chaque parcelle du monde, intéressante, et si l’objet ne vient pas, alors la bouche y va. Le montant du lit mâchouillé par plusieurs générations, la serpillère dans la cuisine, le jour où l’enfant l’a goûtée devant moi, j’ai arrêté de stériliser ses biberons !
J’aime cette non-précipitation qui est une forme de présence et de précision, de mécanisme entre curiosité et apprentissage. C’est ce que je recherche, ce à quoi j’aspire, ce que je mets en place notamment en résidence, pour travailler : ressentir et explorer, un lieu, un temps, être là, emmagasiner des informations.

(…)

Est-ce que le corps des autres t’inspire ?
Oui. Le corps des danseurs et des performeuses parce qu’il y a l’apparition du mouvement, de la présence. Le corps des gens en général aussi. Le corps au quotidien, dans son propre cadre, le corps au travail, j’ai une immense tendresse et considération pour le travail des autres, la précision d’un geste, l’effort qui est fait, la rudesse du monde du travail aussi, et puis les trajectoires, les silhouettes au loin, le corps du modèle qui se déplace lentement pendant que je le prends en photo.

Pendant ma première résidence, à Helsinki, en Finlande, j’ai rencontré Tomasz Szrama (2) qui faisait partie du HIAP l’association qui s’occupait des artistes. Lors d’une discussion, il m’apprend qu’il est performeur, évoque quelques performances et me parle de la photographie qu’il a réalisée la veille, tard, une fois qu’il a couché ses jeunes enfants, puisque ce n’est pas si simple de tout mener de front. Et ça m’avait plu qu’il parle de ses enfants, de ce que ça fait dans la vie d’un artiste, du fait que ce n’est pas anodin. L’image qu’il a réalisée est sombre (de nuit), il penche la tête et s’allume une cigarette à une petite flamme qui sort d’un cœur de bœuf qu’il s’est scotché sur la poitrine, qu’il soutient de sa main comme s’il tenait son propre cœur. Cette photographie deviendra une image-étape pour moi. Il ne s’agit d’aucune révélation, simplement d’un état de fait : l’avant, l’après. J’ai vu des reportages photographiques de ses autres performances (jamais en vrai, pour l’heure) puis j’ai vu d’autres artistes.

Six ans après, je lui ai proposé un échange : une photo contre cette photo, et je suis très heureuse qu’il ait accepté.

(…) »

Info : les éditions Monstrograph ferment définitivement ce 31 décembre 2022, les livres papiers seront disponibles en commande uniquement jusqu’à cette date ! Le fond sera ensuite rapidement accessible en format numérique.