« Je viens de voir qu’il y a un vieux bureau et trois vieilles chaises très jolies, je prendrai l’une d’elles la prochaine fois pour mes photographies. Il y a une ancienne machine Singer à pédales aussi, dans l’atelier.
Il y a cette dimension ici, de la beauté des objets choisis, des matières, du design et celle, laissée telle qu’elle, de la nature qui se déploie. Très peu de zones sont débroussaillées, les chemins et les sentiers existent parce qu’ils sont pratiqués, entre deux séjours ils se transforment. C’est cette double direction qui me semble être le plus précieux de ce lieu.
Tout est beau ici. Les oiseaux permanents, le vent dans les hautes branches, les arbres, les plantes, les fleurs et le ciel au-dessus.
Il serait bon de faire la paix avec la jeune version de moi-même, adulte en démarrage, qui me fait pleurer aujourd’hui. Comme un sujet, un vieux dossier, réveillé par la forêt et le vent ? Par rapport la liberté que j’avais enfant ? Réveillée elle aussi ? Et j’en suis à égoutter mes lunettes en buvant mon thé, assise sur la petite table que j’ai déplacée plus loin dans les herbes.
Écrire sur cette liberté concrète de l’enfance.
Je pouvais aller partout à pied. Libre. Sans dire ni expliquer ni prévenir, sauf à partir au village à trois kilomètres de là. J’arpentais les terrasses du haut, traversais le très grand ravin qui formait une des limites du terrain, je pouvais suivre le sentier qui descendait le coteau et contourner le transformateur électrique, traverser la route et aller chez la voisine, explorer la vielle école en ruine que j’adorais. Il était clair que je serais rentrée avec la nuit tombée, et même avant, pour le goûter.
A côté du bosquet de bouleaux, il y a un arbre dont les feuilles virevoltent au moindre souffle. Est-ce un tremble ? Chaque feuille a une tige un peu longue qui la rend mobile, qui démultiplie le mouvement, qui fait qu’ensemble elles font ce bruit de pluie qui tombe, elles semblent clignoter sur le fond bleu et blanc du ciel. Comme une sorte d’extra réactivité, peut-être pour fragmenter la pression de l’air quand il traverse les branches ? Plus que les autres, mon tremble semble fait de reflets, il diffracte la lumière, il miroite.
Les très gros nuages passent au-dessus pendant qu’ici par moment rien ne bouge, le soleil met du jaune dans tout le vert des feuilles, ça éclaire les transparences et le tendre des pousses les plus jeunes.
Enfant, j’avais un même dialogue, peut-être sans mots, en tout cas sans voix, de l’intérieur, et je m’adressais à tout. Le chat les feuilles les châtaigniers les pins les plantes les sentiers la montagne les nuages les insectes. Mon observation était discussion, en regardant je recevais une foule d’informations. Je répondais par mon intérêt, ma curiosité, ma tendresse, mon attention. Chaque élément avait une texture, une structure même de surface, une couleur et puis peut-être une odeur, un ordonnancement pour en faire quelque chose de plus grand. La fleur de genêt et son moelleux a cette forme curieuse qui préfigure le haricot qui lui succédera, sa légère odeur de pipi de chat, la texture de sa tige un peu rappeuse, ses petites feuilles, l’ombre sous le buisson, les branches sèches, sa silhouette. Chaque plante se prolongeait, cohabitait et formait une silhouette, un secteur, une hauteur.
Je ne calculais rien, je ne cherchais pas à retenir non plus, je voulais voir. Voir de près, voir de loin, regarder dedans. Voir comment c’était fait, comprendre comment ça marche, comment ça tient. Il n’y avait ni extase, ni calcul, ni collection. C’était un appétit et je me nourrissais.
J’avais un amour inconditionnel pour la rivière, que j’aimais pour elle-même, lieu qui m’accueillait, à laquelle je me sentais liée. J’aimais le chemin pour y aller, surtout le dernier bout de sentier à moitié caché, entre deux buissons, c’était déjà elle et chez elle.
Les deux berges de pierre qu’elle traversait, socle de roche qu’elle avait creusé, le gour sous les arbres, l’eau fraîche et les araignées d’eau sur sa peau, et dessous l’eau et les pierres les tout petits crustacés qui font leur fourreau de micros éclats de schiste, micros lauzes de toutes les couleurs, de l’argent au doré, du rosé au bleuté. L’eau fraîche m’accueille et réveille ma peau jusqu’au bout du crâne. Toutes les heures et tout le temps et tout le changeant des lueurs, des reflets, des feuilles en décomposition, du courant, des jeux, des écorces, des libellules à apprivoiser. Un espace, une entité, un antre, la rivière est là qui m’ouvre à chaque fois ses bras.
Le vent plus soutenu fait un bien fou.
Il caresse ma joue, les arbres remuent et se balancent plus amplement, ensemble. Tous composent cet ensemble qui est la forêt. Il y a une sorte d’exaltation à être là dans ce souffle – danse souffle.
(…) »
extrait du journal de résidence
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Retour sur la résidence organisée par Ce qui nous lie en partenariat avec Parenthese – tinyhouses !
C’était une très belle expérience, renouvelée plusieur fois au cours de l’année, dans la forêt domaniale d’Orléans.