pauline sauveur

questionner les liens entre corps et espace(s)

bib de rue – journal de résidence #1

Journal de résidence
9 novembre 2022

Les trois premiers jours ont démarré, ont eu lieu, se sont passés.
Les 26, 27 et 28 octobre des vacances de la toussaint.
Les trois premiers jours sont, de fait, déjà passés.
Trois fois la bib de rue.

Immanquablement ce mot « bib » évoque pour moi le bib au masculin, le biberon des enfants. Mais ici et maintenant, la bib, la bibli c’est la bibliothèque et plus exactement le bibli, le bibliobus, cette bibliothèque-cabane à roulettes que je retrouve avec tant de plaisir.

Ma première expérience avec un bibliobus, en tant qu’autrice, ce fut lors de ma résidence en Essonne, la machine stationnait proche du Cyclop dans les bois de Milly-la-Forêt.

Ma première expérience de bibliobus, en tant que lectrice date je pense de l’époque où c’était moi qui était en CE1 ou CE2, et qu’on est sorti de la cour pour voir la bestiole garée sur le bord de la route portes ouvertes nous ouvrir ses bras et que je n’en revenais pas d’une telle profusion de livres accessibles.

Il fait anormalement beau et chaud, c’est une sorte d’été de fin octobre et c’est très étrange de trouver ça terrible et que le corps le savoure, même sans la permission de la raison. Il fait très beau et nous avons sortis les tables colorées. Chaque jour avant de commencer je me suis demandée s’il y aurait des enfants, alors qu’il y en a toujours. Mais sait-on jamais, et si ces jours-ci justement ils ne venaient pas ?

Mais elles et ils ont été au rendez-vous. Ils se sont approchés, puis très vite se sont installés, les premiers ont choisi les tables tout au bout, les plus éloignées, pour commencer avec le papier, les feutres, les pinces à linge. Un grand ne participe pas, non non c’est sûr, mais reste avec nous et prend part à toute la discussion, il participe à sa façon, avec son rire et son enthousiasme à être là.

J’ai proposé plusieurs approches.
C’est à la fois un test et une envie, j’aimerais voir ce que ça donne et voir si ça se donne aussi, si l’idée se matérialisera, si elle est appropriable. Créer un personnage, l’installer dans les lieux, créer des espaces sous forme de petites structures minimales, jouer avec la série des mots à piocher dans le sachet en tissu. S’y ajoutent des propositions simples comme le fait de dessiner un morceau de l’histoire que je viens de lire, ou de créer un viseur, c’est-à-dire de trouer un petit morceau de carton avec un stylo (en s’appuyant sur un morceau de mousse ou de plastique à bulles) pour observer à travers, pour regarder autrement les lieux.

Créer un personnage, une figurine qui puisse s’installer partout dans le bibliobus. Un visage, des yeux, un nez une bouche ou pas, des détails si on veut et aussi de la couleur. Papier, feutres, patafix ou scotch, pince à linge. La pince prend vie, elle prend visage et se met sur ses deux jambes, instantanément une petite personne habite l’étagère.

Piocher des mots de positions dans l’espace, devant, proche, à côté, loin, dessous. S’installer quelque part et en référence à quelque chose, illustrer dans l’espace disponible une position spatiale. Certaines s’appuient aux livres bien rangés, d’autres s’installent dans le décor d’une couverture illustrée pleine de lumière, d’autres encore se cachent à l’abri entre deux livres inclinés, la cabane dans la cabane.

Le sac de pinces à linge est chaque fois un trésor pour les petites sœurs et les petits frères sur les genoux des mamans qui sont là et qui viennent voir, viennent dessiner, viennent sourire et discuter un peu. De toute façon s’est ouvert, on est ouvertes : Élisa et moi, on accueille, on invite à participer, on est là au milieu de la pelouse, à côté des jeux du square, ou proche du local de l’association C’est possible autrement.

Les structures à assembler sont aussi à inventer, il n’y a que deux matériaux, des cure-dents en bois et un petit pot de pâte à modeler turquoise. Il faut dès le départ envisager de partager, et pourquoi pas de s’assembler, avec la structure du copain, de la copine, après. Chapiteau, tente, maison, pyramide, octogone, toitures et ossatures. Certains appuient sur la pâte à modeler et la fixe à la table, petites pattes qui assurent la stabilité. Un ensemble se constitue. Et tout de suite il y a des rues, des recoins, et des histoires de s’installer dans ces mini-lieux en bois et bleu.

Les trois jours (qui sont des après-midis) ont été chaque fois des premières fois, des premières journées partagées entre les Gibjoncs et le Moulon, quartiers de Bourges.

Tout était nouveau, alors que j’ai déjà travaillé avec un bibliobus, avec des groupes d’enfants, avec une animatrice, avec ces questions. Tout était nouveau et alimentait ma sensation de doute et d’interrogation, cette impression d’être même sur le qui-vive, émotionnellement (ce qui en soit est aussi une bonne nouvelle).

Les choses ont eu lieu, la rencontre et l’action, le mouvement et leur appropriation.

Ce grand espace vide est étonnant, il pourrait être sans caractère et peu attractif, mais, parce qu’il nous surplombe un peu, parce qu’il est plein du soleil orange de fin d’après-midi, parce que la portion de bleu au-dessus offre une respiration : il se laisse appréhender comme une esplanade, accueillante, bordée par les immeubles voisins au loin, occupée par quelques petits groupes de plantes sauvages.

Le jeu a pris, la proposition est attrapée par chacune (c’est principalement des filles aujourd’hui), qui alors s’élance et m’appelle à grand renfort de bras remués pour que je les vois et que je vienne prendre en photo cette proposition de composition entre la petite pince à linge et le mot pioché, installés exactement là.

Résidence programme ciclic / auteur-autrice associée / FOL18 – ligue de l’enseignement du Cher