pauline sauveur

questionner les liens entre corps et espace(s)

expérimenter – journal de résidence #8

Dimanche 22 janvier 2023

La journée complète à l’école s’est déroulée il y a plus d’un mois, recouverte par les évènements de la fin de l’année. Les fêtes qui prirent une dimension bien réduite, le covid qui sévit au plus près, des douleurs pour les uns ou les autres, des trajets, des trajets, des recettes et les courses afférentes.
Et puis finalement ma chute à la rentrée, qui mettra à mal et l’épaule et le pied. Qui va m’obliger à un rythme encore plus lent quelques temps, alors que tout allait déjà assez (et trop) lentement me semblait-il.

Matinée avec la classe des CM1 et après-midi avec les plus grands.
Dans les deux cas, ajuster et tester avec eux les idées, les propositions.

Pour commencer je propose aux CM1 de travailler à partir des fines baguettes de bois colorées. Mon idée c’est qu’elles matérialisent un trait qu’on pourrait prendre en main pour le manipuler librement. Et pour les élèves ? Quel espace un trait permet-il de définir ? C’est une notion abstraite que j’ai voulu rendre concrète mais qui demande de s’y plonger, d’en attraper un fil ou un autre pour faire venir les idées.
Un trait qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que ça délimite ? Qu’est-ce que ça dessine ?
Après un exemple ou deux, des lieux prennent forme d’une façon franche ou détournée.

Un poteau de panier de basket, une séparation, un mur, une ligne, une porte, un fil. Mais aussi des objets : un rideau, un instrument de mesure, un rayon de soleil, un avion (qui tombe) un crocodile sur l’eau, une jambe, un bras, un tube de colle. Une armoire, une affiche, une branche d’arbre ou de lunettes.

Et deux traits ?
Deux murs, une chambre, une salle de bain, le salon, une cuisine, une croix, un tableau, un pont, un canapé, une tente, une cabane, un matelas, l’horizon, un toboggan, un escalier.

Ils et elles sont fortes et imaginatives, mais je crois que je ne sais pas encore comment prolonger ce que je viens de proposer. On a brainstormé ensemble en fait. Et je vois, maintenant que je l’écris un mois après, que c’est déjà très bien.

J’ai très vite eu envie aussi de rejoindre la salle à coté, celle où nous avons installé le matériel du studio photo la veille. Mais le dilemme, comme je le craignais, est bien là : concilier le fait de travailler avec tous ou devoir être par très petits groupes du côté studio photo.

Les filles qui constituent le premier (et le seul groupe qui aura le temps d’expérimenter) sont volontaires et joueuses, concentrées et pleines d’énergie. À côté, dedans, proche, au loin.
Je leur propose de s’emparer de l’espace de la mini maison en métal et d’installer leurs personnages pince à linge au moyen des mots piochés dans le sachet.
Et je constate au fil des minutes que je n’ai plus, que je voudrais une chose et son contraire : anticiper pour ne perdre de temps et avoir plus de temps pour expérimenter, laisser faire plus librement mais diriger mieux aussi, puisque ça ne donne pas de choses visibles à l’image.

A la fin de la matinée, je m’efforce de désamorcer mon propre mécontentement à voix haute, en disant à l’institutrice et à Élisa, que tenter quelque chose est moins certain que de l’avoir déjà fait, que ces rencontres sont prévues pour justement essayer. Je vois bien que c’est à moi-même que je m’adresse, que j’essaye de me rappeler que dans l’idée d’expérimentation il y a nécessairement une part non productive, empêtrée dans cette sensation de gaspiller le temps des rencontres sans réussir à proposer une piste satisfaisante (spectaculaire ?).

L’après-midi sera consacré à l’écriture avec les CM2, cette fois par demi groupes qui se succèderont.

J’ai fait des tirages de notre journée à Noirlac, j’ai choisi les photographies où leurs mouvements effacent les silhouettes dans le flou d’une pose longue, les fantômes sont bien là, évanescents ! Certaines en grand format et d’autres en très petits. L’autre moitié de classe va imaginer des histoires à voix haute avec la super pioche (personnages, lieux de l’abbaye, couleur, sensations) qu’Elisa a préparée. Un petit bout de moi aurait drôlement bien aimé lâcher tout et pense : moi aussi, moi aussi ! Je veux être avec vous et écouter toutes les histoires qui vont être inventées !

Le groupe avec moi vient écrire, avec les photographies et les bonbons mots piochés à volonté. Mais écrire n’est pas si simple. Et imaginer demande toujours un peu d’espace mental et de concentration. Pourtant, leurs impressions refont surface, des descriptions se construisent, des actions se déroulent.

Ces phrases, que j’ai mises au propre, prennent ensemble une forme simple et directe, comme leurs exclamations dans les salles qui résonnaient. Et je me dis qu’elles s’approchent, probablement, par-delà le temps, des cris et des jeux des enfants espagnols, réfugiés et abrités si sommairement pendant la guerre dans l’abbaye abandonnée.

Dans la cour, j’ai vu un pommier.
Dans le dortoir, j’ai vu un papillon.

Donc ne joue pas avec ton nez, ton visage, tes mains, avec ton cœur.
Écoute plutôt nos voix :
Nous étions au jardin
On a couru et sauté
Il y avait du feu et on est rentré en bus.

L’après-midi, on a escaladé avec tout le monde, et voilà.
J’ai fabriqué un lance-pierre avec un caillou.

À Noirlac, on a vu une forêt.
Les fenêtres brillent et les faïences brillent aussi.
À Noirlac, il y avait une pièce au dedans.
Les pierres sont douces.
À Noirlac, on utilisait des rubans pour des pansements.
Dans le puits il y a des jets d’eau.
À Noirlac, j’ai joué et j’ai regardé une cheminée.
Ma sœur a un creux.
À Noirlac, tout le monde a souri.
Tiens ma sœur, un œuf.
À Noirlac, les coccinelles sont toutes rouges, il n’y a pas de chien.