pauline sauveur

questionner les liens entre corps et espace(s)

fragile – journal de résidence #6

Samedi 26 novembre

Je réfléchis depuis longtemps à un système simple pour assembler mes morceaux de bambou ensemble et pouvoir faire des structures. Je crois que la solution sera finalement d’acheter des baguettes de bois calibrées. Et de coudre des petits tubes de tissu lycra dans lesquels les emboiter. Le principe permettra tous les angles possibles (pas comme les systèmes d’embouts rigides qui existent dans certains kits de jeu de construction grandeur nature, qui orientent immanquablement les axes, donc les possibilités). Ils pourraient ensuite être assemblés par un lacet. Par contre ça ne pourra quasiment pas supporter de charge.

Une résidence, c’est un budget à disposition.

C’est précieux, pour matérialiser des expériences, des propositions, pour acheter des baguettes et du tissu, des cure-dents et de la colle, pour faire des photocopies ou inviter des artistes pour des lectures rencontres. Je le demande à chaque fois que c’est possible, comme envie constitutive de la résidence lorsque que je postule. J’envisage cette petite part collective pour aller plus loin, dépasser la seule dimension autocentrée, partager, découvrir, s’en nourrir et donc inviter celles ou ceux, que parfois je ne connais pas personnellement, mais dont je suis le travail, souvent depuis l’époque du début des blogs.

Cette fois, trois rencontres sont envisageables : deux financées par la structure qui m’accueille, la Ligue, et une par l’abbaye de Noirlac dans le cadre des Futurs de l’écrit, ce beau festival qui est une formule de travail avec des groupes de jeunes et moins jeunes et des classes à travers le département. Ce sera peut-être trois femmes cette fois ? Et bien sûr dans l’idéal il y en aurait plus, cinq, six ? J’attends la réponse à ma dernière invitation. Certains artistes que j’aimerais inviter habitent loin et je ne suis pas certaine que les billets depuis l’étranger puissent être pris en charge. Nous verrons.

Vendredi 2 décembre 2022

C’est étonnant chaque fois cette élasticité du temps, qui s’ajuste ou se déforme, englobant des évènements qui prennent plus de place (mentale) qui s’enchainent et nous font croire à des semaines.
Hier jeudi-gâteau-CM2.
Ceux avec qui travailler l’écrit et ses futurs en devenir.

Le groupe est conséquent. En atelier d’écriture, plus de 10 personnes c’est conséquent, j’ai beau essayer, tenter, bifurquer, c’est quasiment à chaque fois le même constat : je n’ai pas de solution pour que les uns écoutent vraiment les autres et pour qu’ils s’écoutent eux-mêmes. Leur concentration est très variable, et je ne la réclame pas pour moi mais pour cette partie d’eux-mêmes qui ne fait pas beaucoup de bruit.

J’ai souvent l’impression de leur courir après, de courir après plus d’attention et de semi-silence pour que les choses, leur écrits, leurs histoires, puissent advenir. Je ne suis ni magicienne ni enseignante, je ne sais pas faire pour qu’autant d’enfants laissent un peu de la place à ce truc fragile qui n’est pas encore là, qui devra venir d’eux-mêmes. Je constate aussi comme souvent certains garçons sont déjà dans cette posture de la rigolade, du sérieux impossible : trop convenu ? Trop réclamé par les adultes ? Trop trop trop et pas assez conforme au rôle déjà endossé de celui qui sait faire rire (et drôlement bien justement, le talent) la classe ou le copain en face. Ce rire rassurant qui est une petite armure.

Mais je reconnais que je suis bien gonflée de venir là, comme ça, sans crier gare, demander à déposer les armes ou le talent. S’apprivoiser demande du temps et se fait éventuellement et sans garantie. Nous y travaillerons à nouveau, je proposerais de faire des demi-groupes pour la prochaine rencontre.

Je sors un sachet de tissu qui fait un bruit de billes qui s’entrechoquent : mes bonbons-mots sont des petits cailloux qui se lovent dans la main, mots graviers de jardin, blancs, doux et lisses avec écriture manuelle qui peuvent demander déchiffrage. Ils font l’unanimité chaque fois. Concrets, bien présents et bruyants contre la table ou le carrelage.

Il y a également les mots-plumes si légers qui s’envolent, sur papier de soie. Et les mini-mots de quelques millimètres carrés, qui matérialisent cette idée que c’est un jeu, qu’il est possible de s’en emparer, de les manipuler sans inquiétude : petits comme ils sont, ils semblent inoffensifs. Ils démontrent exactement ce qui m’intéresse : que les mots sont aussi des trucs sur la table avec des sons dans la tête, le sens vient après le son, après l’homophonie et l’orthographe.

Aujourd’hui, commencer par ça : l’amusement, la curiosité, la table, une feuille, un stylo, avec des cailloux et de minuscules morceaux de papier coloré à placer comme bon leur semble.