pauline sauveur

questionner les liens entre corps et espace(s)

une île

Celle que l’on rejoint en barque parce que la route n’existe pas. Elle est difficile d’accès et on est chaque fois heureux de l’atteindre. Elle est à ce dosage parfait de l’entité autonome mais reliée. Une route pourrait être tracée, qui y sera dans des années, après. Mais là, elle ne l’est pas. C’est une presqu’île sauvage, qui ne me fait pas peur, parce que ce presque change la donne. Un jour à pied s’il le faut, la traversée par la forêt pourra se faire, la possibilité est là, l’éventualité du fil, invisible, l’idée. Presqu’île, c’est un lieu, une catégorie d’espace. C’est une idée ronde qui se balade, s’attache, s’emporte et se relie.

C’est l’île parfois réelle et complète, quand vient la marée. Comme cette fois, là, quand ils ont pris le chemin en voiture, après l’heure conseillée, allez vient, c’est pas grave ! Tous les quatre, trois copains et le chien. Par la fenêtre ouverte il filme le chemin bordé des deux côtés par l’eau qui clapote. Doucement la largeur se réduit, la route s’amincit, au point de ne plus voir que la bande centrale, les roues déjà dans l’eau. L’eau qui devance la voiture, qui avance qui court qui arrive, qui d’un coup recouvre entièrement la route. Plus de chemin, plus rien, seulement de l’eau partout, au volant d’une putain de voiture et pas d’un bateau ! L’urgence alors, accélérer, foncer droit, ne pas se laisser gagner par les flots. Et durant de longues minutes, avoir peur, vraiment peur.

Le danger du passage, son incertitude
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Pour rejoindre la presqu’île sauvage sans chemin. Le danger palpable, parce qu’il ne fait pas beau aujourd’hui, qu’il est tard qu’il y a du vent et de la pluie et qu’on ne va pas dormir dans la voiture garée sur la berge de ce côté. J’ai huit ans et je vois mon oncle emmener ma cousine et mon petit frère et les courses de l’autre côté, puisqu’on ne rentre pas tous dans la petite barque à moteur en un seul voyage.

Gilets de sauvetage obligatoires. Gilets orange aux sangles noires. La couleur délavée et l’odeur de plastique cuit par le soleil qu’il n’y a pas aujourd’hui. Je regarde le bateau dériver à cause du courant sous les bourrasques, je le vois négocier le trajet en biais pour atteindre le ponton, qui me semble loin ou minuscule, ou les deux. Qui m’inquiète.

La traversée, le moment du danger.
Le passage, la masculinité ?
Et l’île ? Masculin ou féminin ?

(…)
extrait de « Presqu’îl-e »
projet en cours