pauline sauveur

questionner les liens entre corps et espace(s)

les larmes en cours

travailler

« Accroupie dans le jardin proche de l’atelier là où le talus est un peu plus grand un peu plus haut le jour de l’enterrement de mon père ou le lendemain ou la veille. Je ramassais des fleurs et des feuilles pour un bouquet. Tout à coup, en un instant, je les ai vues arriver. Je les ai regardées, je les ai reconnues et, silencieusement, j’ai demandé au cerveau de ne pas tout déverser du flot qui venait, toutes les histoires, chaque anecdote, une à une avec mon père, parce que je n’avais vraiment pas le temps ni la capacité, là, de les accueillir. Persuadée de pouvoir y revenir sans en perdre une seule, le moment venu.

Je n’ai encore jamais voulu le moment venu et je ne sais rien de la possibilité de convoquer ou pas, ce temps qui a l’image de mon corps ramassé sur lui-même, penchée que j’étais sur les lavandes au bord de l’atelier.

Je ne sais pas si même je tenterai de convoquer le flot. C’est en jeu, c’est ce que crois lire dans le lieu à quitter. C’est ce que je projette en me questionnant. Mais. On verra, nous verrons ce qui se passera devant l’atelier.

Non loin de la maison se trouve le pont-passerelle sur lequel mon père était assis un peu à l’écart du jour. J’étais sortie ce jour-là, chacun vaquait et je l’avais vu et j’avais voulu m’asseoir à côté de lui pour simplement ne rien dire. Mais. Je n’avais pas osé m’approcher ni le faire ni lui dire, empêtrée dans l’idée de le déranger. Lorsque j’avais regardé à nouveau il était rentré et je n’avais pas à l’époque la compréhension de cette chose simple que j’aurais pu aller le voir dedans la maison et lui dire j’ai envie de m’asseoir avec toi dehors. C’était de ces équations inconnues, les choses que je ne savais ni faire ni possibles, ce pouvoir qu’il faut savoir pour l’avoir.

Dans le hall du Conservatoire je les vois arriver. Celui qui donnant la main à son père en larmes a son violon dans l’autre. Ils s’y dirigent tout droit.

Je sais seulement que je suis revenue deux semaines après, le voir en service de réanimation où il dormait artificiellement. J’avais traversé le Massif Central en train et Montpellier en tram pour arriver dans la chaleur de la ville et la fin de journée. Ça n’était pas et c’était pourtant, sa chambre. J’avais franchi les parkings les portes les sas les entrées les services, j’avais mis les protections ou pas le masque ou pas et j’avais découvert qu’il avait la main gauche chaude quand je l’ai prise dans la mienne en m’asseyant à côté de lui. Dans le bruit des machines et les tuyaux transparents on s’est dit presque bonjour, même l’infirmière arrivée juste après l’a constaté, elle a dit tiens c’est bien, en voyant que son rythme cardiaque s’était apaisé et elle m’a demandé si je voulais une grenadine.

Je me suis demandé si j’avais gardé des couettes peut-être sans faire exprès.
(…) »
Ce qui reste, titre provisoire d’un texte en cours.